Le film avait si bien commencé. Il y avait tout pour saliver. Un casting intrigant, des teasings et une première scène qui annonçait une autre histoire. Quand Lille a levé le rideau de sa saison en broyant Nantes 3-0 sans qu'on ne trouve rien à y redire, personne n'aurait imaginé la suite, vraiment. C'était le temps des accolades entre Marcelo Bielsa et Claudio Ranieri dans la douceur de l'été.
Ce plaisir simple, les amoureux de ce club ne l'ont plus ressenti depuis huit mois et des poussières. Tout ou presque s'est évaporé dans la lente glissade qui a suivi. Les sourires, la confiance, les espérances, et Marcelo Bielsa, la pièce centrale du projet, l'homme qui avait constitué un groupe de gamins ayant leur seul talent comme pedigree. Les staffs techniques se sont succédés, le spectre d'une relégation administrative plane depuis des mois, et sportivement, Lille n'a jamais remonté la pente. Si Christophe Galtier remplit sa mission dans ces conditions, il pourra se retourner avec fierté sur cette période. Car c'était un calvaire. En se concentrant sur le terrain, quelles en sont les raisons ? La réponse en chiffres.
UN MENTAL FRAGILE
Avant toute chose, il est important de rappeler que c'est le profil de cet effectif qui l'a mené où il est. Sans Bielsa pour le façonner, l'affaire s'est encore compliquée. Lille possède le groupe le plus jeune des cinq grands championnats européens (Ligue 1, Premier League, Liga, Serie A, Bundesliga). Ce manque de maturité se reflète dans ses failles mentales, constantes et récurrentes. Le dernier exemple en date ne pourrait pas mieux l'illustrer. C'était contre Guingamp, la semaine passée. Alors qu'il se dirigeait vers une victoire salvatrice pour faire un vrai bond au classement, le club nordiste a concédé deux buts dans les arrêts de jeu après avoir mené 2-0. Aujourd'hui, il est autant rongé par la peur de gagner que par la peur de perdre.
Lille a encaissé 5 buts à partir de la 90e minute en Ligue 1 cette saison, aucune équipe ne fait pire (à égalité avec Lyon, Strasbourg et Toulouse). Contre Guingamp, Lille a été la 1ère équipe de L1 à ne pas s’imposer malgré une avance de 2 buts à la 90e minute depuis Lyon contre Nice le 3 avril 2011 (2-2 également). Lille a inscrit 2 CSC en Ligue 1 cette saison, seuls Nice, Lyon et Angers font pire (3 chacun). C’est autant que lors de ses 3 précédentes saisons cumulées.
UN JEU TOTALEMENT INEFFICACE
Avec le recul, il n'y a pas qu'en coulisses que le LOSC est resté à l'état de projet cette année. Sur le terrain, aussi, sa façon de jouer a laissé un goût d'inachevé, diffusant l'étrange impression d'une équipe en construction, avec une ligne directrice mais des trous dans son puzzle. Bielsa a souvent tenté d'aborder les difficultés sous ce prisme du jeu plutôt que celui des résultats, qui tue parfois l'analyse. Gérard Lopez ou son bras droit Marc Ingla s'y sont essayés aussi. Lille tient le ballon (54,2% de possession de balle et 485 passes réussies en moyenne, soit le 5ème meilleur total de Ligue 1 dans ces deux catégories), mais ne pique pas assez. Il n'y a pas de hasard à ce que Christophe Galtier ait utilisé ce levier pour essayer de provoquer un éléctrochoc à son arrivée. En parlant de Nantes, par exemple, Galtier avait appuyé là où ça fait mal, comme pour se regarder dans un miroir. "Ce n'est pas une équipe qui a la possession de balle, ni un gros taux de réussite dans ses passes, mais elle a les résultats".
Avec une occasion créé par match en moyenne, Lille est la pire équipe de Ligue 1 dans ce domaine. Défensivement, seul Metz concède d'avantage de grosses occasions par match que le LOSC (2,61). Bien que Lille soit la 5ème équipe de Ligue 1 la plus performante dans la possession (54,2%), le club nordiste ne se classe que 17ème pour ce qui est du nombre de tirs par match (10,94 en moyenne). Et il convertit 8,86 % de ses tirs.
DES ÉVÉNEMENTS CONTRAIRES
Rembobinons un peu le film. L'histoire retiendra que Marcelo Bielsa a dirigé son dernier match à Amiens le 20 novembre 2017. Ce soir-là, le LOSC a sombré dans les grandes largeurs (3-0) lors d'une rencontre qui avait été reprogrammée après des incidents au Stade de la Licorne un mois et demi plus tôt. C'est gênant, car le 2 octobre, c'est bien Lille qui avait pris les devants sur la pelouse du promu, avant que la barrière du parcage visiteurs ne cède. Malgré 29 blessés, le pire avait été évité. Ce n'était pas la première et la dernière fois que des vents contraires balayaient les bonnes intentions lilloises. Le tout premier accroc de l'équipe, à Strasbourg (3-0), en août, avait donné le ton. Après l'expulsion de Mike Maignan à l'heure de jeu, Nicolas De Preville avait terminé cette rencontre dans les buts quand Thiago Mendes, lui, s'était blessé tout seul... Et puis il y a eu cet envahissement du terrain dans une ambiance délétère, le 10 mars, après le match contre Montpellier (1-1), forçant certains joueurs à rentrer au vestiaire la peur au ventre. Pour ce nouveau couac, le club avait écopé d'un match à huis-clos avec sursis, match purgé et perdu contre un concurrent direct, Amiens (0-1)... Bref, rien n'a été épargné au club nordiste.
Lille n'a pris aucun point contre Amiens cette saison. Le LOSC a perdu 3-0 un match reprogrammé après avoir mené 1-0 avant un accident au Stade de la Licorne. Il s'est aussi incliné 0-1 lors de son deuxième match disputé à huis-clos contre le promu. Lille a encaissé trois buts face à Strasbourg (3-0) après le remplacement forcé d'un gardien exclu (Maignan) par un joueur de champ (De Preville) suite aux trois changements déjà effectués dans un match. Seuls Saint-Etienne (8 joueurs exclus) et Metz (7) ont reçu davantage de cartons rouges que le LOSC (6) cette saison en Ligue 1.
UNE DÉPENDANCE INQUIÉTANTE À CERTAINS JOUEURS
Rares ont été les joueurs à tirer leur épingle du jeu dans le marasme. Deux d'entre eux présentent un bilan notable dans un tel contexte : Nicolas Pépé et Thiago Mendes. Positionné dans l'axe sous Bielsa, l'ancien Angevin a peiné à assumer sa nouvelle fonction, mais il a aussi étoffé son registre, et c'est peut-être la raison de son très bon rendement depuis son repositionnement à son poste originel, sur le côté droit, après le départ de l'Argentin. Il est aujourd'hui le joueur le plus décisif de l'équipe - et de très loin. Avant lui, c'est Thiago Mendes qui avait porté cette bande de gamins sur ses épaules. Le Brésilien a beaucoup d'atouts dans son jeu. Il est agressif, clairvoyant, créatif et a parfois débloqué des situations par sa frappe. Sans ces deux hommes, Lille serait peut-être déjà condamné.
Nicolas Pépé est impliqué dans 13 buts en Ligue 1 cette saison, au moins 5 de plus que tout autre Lillois. Il a été buteur et passeur décisif lors d’un même match de Ligue 1 pour la 1e fois de sa carrière (64 matches). L'international ivoirien, meilleur buteur du club, a inscrit 6 de ses 10 buts en 2018. Lille n'a gagné aucun de ses 7 matches joués sans Thiago Mendes en Ligue 1 cette saison (3 nuls, 4 défaites), contre 27% en sa présence (7 victoires, 5 nuls, 14 défaites).